Ce Maroc bien aimé
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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 Au pays du paradoxe - MAROC -

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Paul CASIMIR





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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyVen 1 Aoû - 10:14

92
MAROC, PAYS DU PARADOXE


Du haut de sa casbah ou de la colline du Charf, on jouit du plus grandiose panorama qu'on puisse voir. Décor féerique où la nature associa, pour le ravissement des hommes, toutes les beautés, celle de la terre et celle des eaux, le double miroir immense d'émeraude et d'azur où se reflète la masse majestueuse des montagnes les plus sep­tentrionales du Moghreb.

Au loin, la côte d'Espagne profile sur le dais vermeil d'un ciel presque toujours ensoleillé ses plages d'or, ses rochers roux, l'arête robuste de Gibraltar et la ligne d'un bleu de pastel des sierras de Tolex et d'Aljibe.

0 ville convoitée par tous ceux qui t'ont vue. Tant de discussions eurent lieu pour ta conquête, alors qu'il eût sufli d'un chèque pour que tu sois nôtre !


*
**
Mais nous sommes en 1911, Je quittai Fez par un violent coup do sirocco, avec un seul guide, Hassan-el-Ouazzani. Dans un coin de la cam­pagne et de lui seul connu, nous devions retrouver huit Djebala dont l'escorte pouvait n'être point inutile pour passer sans encombre chez les farou­ches montagnards qui, à cette époque, selon, toute vraisemblance, devaient se retrouver en guerre avec l'Espagne.




93
LA BEAUTÉ INTACTE


J'avais abandonné ma domesti­cité fasi qui devait gagner Tanger par une autre route et m'y apporter le gros de mes bagages. Biarnay m'accompagna quelques heures. Je restai seul en compagnie de mon guide et d'un jeune domestique, Ahmed, qui n'avait pas davantage voulu me quitter que se séparer de la lanterne makhzen qu'il était dans ses attributions exclu­sives de porter devant moi à Fez, les nuits où la lune faisait défaut. Sur la piste et par une tem­pérature torride, il portait comme un dîner de fête cet instrument superfétatoire dont les verres ne tardaient pas à être brisés et dont le cierge lui fondait sur la tête.

Nous avions résolu de passer cette première nuit de voyage sur le bord du Sebou, roulés dans des couvertures qui eussent servi beaucoup plus à nous garantir de la poussière que de la fraîcheur, car la température restait accablante. Je finissais de dépêcher quelques vagues conserves, dans le bled absolument désert en cette fin de jour lors­que des êtres humains apparurent. Un burnous blanc et quelques autres de couleur indécise s'acheminaient vers nous. Le burnous hlanc se présenta : c'était le caïd et seigneur du lieu. Comme on sait son monde et les usages, je lui offris de partager mon tapis.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyVen 1 Aoû - 10:24

94
MAROC, PAYS DU PARADOXE


— Pourquoi n'es-tu pas venu chez moi ? me demanda-t-il.

— Parce que je n'ai pas vu ton douar.

— Il est là, derrière la montagne. Il est d'ailleurs démoli. Mes gens couchent sous des tentes.

Notre entretien en était là lorsque je vis arriver quelques porteurs. Ils disposèrent autour de nous des figues, des dattes sèches et des œufs. De loin le caïd avait aperçu notre modeste caravane et nous faisait apporter la mouna. Je fus réellement touché de cette attention. Le sucre était hors de prix à Fez et dans les campagnes, sa rareté avait
presque causé des révolutions. Je déclarai au brave caïd que j'acceptais de grand cœur ses œufs et ses dattes. Quant au sucre, il était inutile puisqu'on était en train de préparer mon thé.

Mais d'un geste large et qui excluait toute discussion, il brisa lui-même le pain dé sucre déposé sur mon tapis, en me disant :

« Ici tu dois te servir du mien. »

La conversation suivit, ardue. Pour la première fois, je me trouvais dans le bled sans interprète avec des gens qui ne comprenaient pas le moindre mot de français, car Hassan le muletier et mon boy étaient complètement illettrés.
Mon hôte m'expliqua tant bien que mal que son douar avait été démoli de fond en comble par suite d'accidents successifs :

« Les Djebala, des­cendant des montagnes —- dit-il — sont passés par mon village et y ont pris tout ce qu'il leur fallait pour faire la guerre contre les askris du Maghzen.



95
LA BEAUTÉ INTACTE

Comme ils ont été battus, ils sont revenus dans mon village, ont pris tout ce qui restait, puis ils sont repartis dans la montagne, Alors la mehalla française est arrivée et le com­mandement « Brimond » a fait taper à coups de canon sur ce qui subsistait encore.

De s'être vu pillé par les Djebala à l'aller et au retour, d'avoir subi la dispersion du reste par la mehalla française, cet homme ne marquait nul étonneraient, car ce sont là les hasards de la guerre, et nonobstant ces événements — qu'Allah avait voulus — il trouvait tout naturel de m'ap­porter, suivant la caïda, le sucre et les ligues par quoi se symbolisent toutes les bienséances de l'hospitalité marocaine.

Le lendemain, après avoir traversé une plaine que jalonnaient de loin en loin des oliviers étiques et des jujubiers épineux, nous arrivions au gué, sur la rive gauche de l'Ouergha. Une grande roue, qui montait l'eau du fleuve dans un jardin se trouvant sur la rive opposée, servait de repère au voyageur hésitant. Le gué traversé, huit silhouettes étranges brusquement surgies des roseaux s'avancèrent à notre rencontre et, sans autre explication, que quelques mots échangés avec Hassan El Ouazzani, s'emparèrent de nos mulets, commencèrent à les débâter à l'ombre de quelques figuiers.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyVen 1 Aoû - 10:39

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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Ces huit hommes, tous du Djebel, étaient ceux qui devaient nous conduire sains et saufs à travers leur territoire jusqu'aux environs de la zone occupée par les Espagnols.

Hirsutes et d'aspect assez inquiétant, ces guer­riers étaient vêtus d'une simple chemise retenue à la taille par une cartouchière, une large cein­ture où s'accrochaient des charges de poudre toutes prêtes. Leur crâne s'ornait d'une petite rezza en toile jadis blanche roussie par les soleils, la poussière et la crasse, et leurs bras en croix s'appuyaient sur la crosse et le canon de leurs bouchefars à pierre.

C'était cette escorte qui devait nous permettre de répondre victorieusement à toute attaque éven­tuelle des Espagnols ou des brigands. Le reste du jour se passa à se délecter de pastèques en tranches posées sur des cailloux et que les vains efforts d'une brise légère ne parvenaient pas a rafraîchir.

Au petit jour, le caïd me fît remettre une lettre pour l'un de ses amis, dont le village était situé quelque part entre i'Ouergha et Ouezzan. Et nous reprîmes de bonne heure la piste épousant toutes les ondulations des coteaux,



97
LA BEAUTÉ INTACTE


En avant de notre groupe, mon guide marchait d'un pas égal et quelques-uns de nos Djebala d'escorte, à tour de rôle, de leur pas souple et feutré, esca­ladaient les pentes, attentifs à leur métier de flanc-garde. Un village apparut vers le soir. Je fus bientôt au milieu d'une foule tumultueuse en un endroit encombré d'enfants et de chiens qui devait être un marché. A ma rencontre, un vieillard à barbe blanche s'était dirigé. Je pensais reconnaître en lui l'hôte chez lequel je devais trouver l'hospitalité pour la nuit. Déjà je descen­dais de cheval et nous échangions les premiers salamaleks. Mais brusquement Hassan qui me suivait me fit lin signe, me cria de grimper au plus vite sur ma monture et de continuer ma route.

Interloqué, hésitant à obéir, et comme je le faisais d'assez mauvaise grâce, car la journée avait été fatigante, Hassan poussa les mules et me fit comprendre plus tard que le douar que nous venions de traverser était bien celui qui, jusqu'à la veille, était occupé par les amis du caïd Si Ben Aïssa, mais que ceux-ci venaient d'être « mangés » par leurs ennemis, et que toutes les politesses dont je m'étais montré si prodigue s'adressaient à l'ennemi de nos amis, ce qui n'avait, d'ailleurs, aucune espèce d'importance à mes yeux. Néanmoins, à quelque chose malheur est bon — il avait pu obtenir un renseignement sur l'emplacement où je trouverais l'ami du caïd Si Ben Aïssa.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyVen 1 Aoû - 10:48

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MAROC, PAYS DU PARADOXE

C'était là-bas, quelque part derrière les collines qui barraient l'horizon. Notre hôte devait s'y être retiré avec ce qu'il avait pu sauver de son village ruiné.

Nous continuâmes notre chevauchée dans la nuit devenue à chaque pas plus sombre. Nos bêtes, fatiguées, butaient fréquemment. Le vent se levait, rendant la marche difficile. Force nous fut de nous arrêter. On s'installa tant bien que mal sur les tapis étalés, sans dîner, sans feu et sans même l'autorisation d'allumer une cigarette. Une attaque était possible. Nos bêtes entravées ne furent pas débâtées. Les Djebala veillèrent toute la nuit, par deux, se relayant à tour de rôle.

A l'aube, on repartit. Le lever du soleil est toujours un spectacle odieux pour celui qui aime à se lever tard ; il est particulièrement désagréable quand on n'a pas mangé la veille et qu'on a le ventre vide et rien de chaud pour se lester le matin. A deux heures de l'après-midi, nous étions dans le douar de notre ami. Là, malgré les malheurs récents, un mouton fut grillé, et nous fûmes nourris de méchoui, abreuvés de lait de chèvre et régalés, comme il convient, de récits de combats.

Le lendemain, dans l'après-midi, nous abordions une pente boisée.





99
LA BEAUTÉ INTACTE



Deux heures de chevau­chée à travers les oliviers nous réconcilièrent avec la nature moins âpre. Le paysage accueillant offrait des perspectives riantes. De longues trouées verdoyantes remplies d'ombre bleue s'enfonçaient vers le Rif, dans la direction de Chechaouen. Brusquement, au tournant d'une arête recouverte d'un odorant maquis, Ouezzan apparut au-dessous de nous : Une agglomération de maisons blan­ches dans une ceinture de ramures où se jouaient toutes les nuances du vert. Sur le versant opposé du vallon, des paillotes, un gros village occupé par les Djebala, qui tenaient en respect, sous la menace de leurs fusils, la ville des Chorfas prisonniers.

A quelque distance des jardins, noltre escorte de Djebala nous quitta, car elle ne pouvait pas pénétrer dans la ville du chérif. Après avoir tra­versé une pente arrosée, une place (le grand Méidan), nous atteignîmes enfin aux jardins et aux maisons du caïd Ali, et là malgré le voisi­nage hostile des Djebala, s'affirmait la quiétude d'une villa calme.

La maison où je fus accueilli occupait les trois côtés d'un rectangle s'ouvrant sur des treilles. Un des salons, la chambre des hôtes, tout embaumé de l'odeur des brûle-parfums allumés, prenait jour sur un grand bassin. Un jardin exigu, grandeur égale à l'étendue de la pièce d'eau, dis­pensait les effluves odoriférants de ses roses en grappes.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyVen 1 Aoû - 10:54



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Ouezzan

Vue générale


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyVen 1 Aoû - 11:03

100
MAROC, PAYS DU PARADOXE



Le chérif m'y conduisit. Noos marchions à la file indienne, car les petites allées, encaissées entre des massifs de fleurs, avaient à peine deux pieds de large, elles étaient bordées de murettes qui montaient à mi-cuisse. Ces sentiers étroits dessinaient des figures géométriques et l'on se promenait en un labyrinthe fleuri.

— Pourquoi, dis-je au chérif, ton jardin est-il construit à l'inverse de tous les jardins maro­cains ?

— Parce que, me répondit-il, mon père, devenu vieux lorsqu'il fit construire cet enclos, afin de s'y promener voulut sans se baisser pouvoir respirer les fleurs. »

Des heures se succédèrent dans le calme. Je goûtai pleinement le repos des longues siestes réparatrices de la fatigue des jours précédents, et le bien-être des ablutions prolongées. Après la lourde chaleur des après-midi la brise se levait, refraîchie vers le soir et saturée de l'odeur des roses s'effeuillant sur les allées minuscules. Des nuées d'oiseaux s'abattaient sur les buissons, y cherchaient un refuge pour la nuit dans un assourdissant concert de pépiements. Le ciel reflété dans la pièce d'eau y glissait furtivement toute la gamme des mauves et des lilas. Le vent
du crépuscule peuplait les moires du bassin d'une flottille éphémère de pétales éparpillés...
...................................................................................................................................................



101
LA BEAUTÉ INTACTE

En sortant d'Ouezzan par la porte du Nord je rencontrai mes huit Djebala dans la même atti­tude où ils m'étaient apparus la première fois, ceints du même harnachement guerrier, armés de leurs longs fusils.

Les murs franchis, la campagne délaissée, puisque les Chorfa jadis riches propriétaires de la banlieue de la ville ne peuvent plus sortir de ses murs, offre un aspect singulier. Ça et là dans les fonds, des restes d'opulents vergers. De vieux orangers envahis par les plantes parasites offrent au passant le bouquet de leurs fruits amers. Partout ailleurs des lianes, des ronces, les buissons de cystes, de clématite, les plantes sauvages, rejets de figuiers stériles, avaient détruit l'œuvre éphémère des hommes.

A deux heures de l'après-midi, après une longue étape, le campement dressé dans un ancien clos d'orangers aux touffes vert sombre et aux ramures mangées de lichen je me reposai, non loin d'un bouquet de lauriers et de quelques buissons de roses.

Là, vers le soir, je fus réveillé par le bruit d'une discussion assez vive entre les hommes de l'escorte et mon guide. Tous parlaient fort.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyVen 1 Aoû - 15:05



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OUEZZAN

Ville sainte

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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptySam 2 Aoû - 17:54

102  
MAROC, PAYS DU PARADOXE


Se disputaient-ils, s'entretenaient-ils, au contraire, de choses aimables, chose difficile à démêler dans cette avalanche d'accents gutturaux. Au bout de quelques instants, en prêtant beaucoup d'attention j'eus la clé du mystère. Aucun des hommes de ma garde armée n'avait pu entrer à Ouezzan. A quoi bon d'ailleurs puisque nulle caravane, depuis des mois, ne s'était risquée à apporter des mar­chandises dans la ville totalement vide où rien ne parvenait. Fez était fermé aux Djebala ; Tanger et Tétouan étaient trop loin, El Ksar seul pouvait avec le concours d'un Européen, leur offrir la possibilité de se ravitailler en frivolités, Car il fallait, condition indispensable après une longue absence du logis que mes gens pussent rapporter à leurs épouses les babouches brodées et étoffes légères sans lesquelles il n'est point de tendre accueil ni de nuitées heureuses.

Mais passer par El Ksar, c'était changer tout mon plan de route et me détourner de ma course rapide vers Tanger. J'avais choisi ce chemin pour éviter les Espagnols et fuir les vexations qu'ils faisaient, paraît-il, subir aux Européens que leur mauvaise fortune obligeait à passer dans la zone par eux conquise. Cependant, moins pour satis­faire aux désirs de mon escorte que pour juger moi-même de la sévérité du service de sécurité instauré par les soldats de la Péninsule, je décidai brusquement de changer mon itinéraire,



103  
LA BEAUTÉ INTACTE


Pourquoi eussé-je négligé de faire plaisir à ces braves gens qui voulaient acheter des babouches brodées pour leurs femmes et qui dans cet espoir couraient depuis huit jours pieds nus dans la poussière des pistes ? La cause était entendue. Je décidai de couper droit sur El Ksar.

Nous quittions donc les rives herbeuses du Loukkos, et de nouveau les collines roussâtres se succédèrent à l'horizon.

De val en val et de col en col, nous approchions de la ville. Derrière une dernière crête nous devions voir El Ksar. Deux fortins de toile commandaient la piste, grand-garde avancée de deux groupements mili­taires dont l'aspect ne manquait point 'd'un certain pittoresque. C'étaient les avants-postes espagnols. Je commençais à redouter les pires mésaventures, et à cet effet, je fis passer la troupe en avant. J'armais sous ma djellaba hermétiquement close mon appareil photographique, prêt à fixer sur la pellicule du kodak le geste héroïque des hidalgos se précipitant sur mon escorte et, devant une population admirative, désarmant les hommes de leurs pétoires. Mais le kodak n'eut pas à intervenir. Quelques patrouilles, quelques cor­vées portant de l'eau en des outres et des barils, quelque maigre ravitaillement, passaient sans nous inquiéter. Nous arrivions à l'entrée du marché, sans avoir éprouvé nul incident fâcheux.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptySam 2 Aoû - 17:55



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Le Maroc illustré
Vue panoramique d'El KSAR



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptySam 2 Aoû - 18:57

104
MAROC, PAYS DU PARADOXE

Les murailles d'El Ksar El Qbir (Kébir)sont depuis longtemps enfouies sous des montagnes d'ordures. Entre le bled et la ville, la crotte amoncelée depuis des siècles a tout nivelé. C'était dans l'ordre des choses depuis qu'El Ksar existe et la venue des Espagnols n'a rien changé à la physionomie de ce dépotoir plusieurs fois centenaire.

Tout à coup, je rencontrai un brave vieux chaouch qui avait connu l'ancêtre Michaux-Bellaire, dernier sultan d'El Ksar, et qui au mois d'avril précédent, m'avait fait camper dans les jardins du pacha : excellente précaution dans un moment où l'insécurité régnait en ces régions jusqu'alors tranquilles. Ce furent des effusions de joie. L'excellent homme m'embrassait les genoux, me racontait mille histoires en bon fran­çais. J'avais perdu ma troupe, égarée ou anéantie. Mais lui me conduisit à la maison des Chorfa d'Quezzan où j'étais assuré de trouver un asile. J'y découvris mes mules débâtées, mon campement bien installé, des domestiques pré­parant le thé. Mon escorte restaurée courait les souks à la recherche de babouches étincelantes. Le lendemain, sur la roule de Larache, je retrouvai l'amusant spectacle des corvées de ravitaillement espagnol. Des mulets par groupes de deux, ou de trois parfois.




105
LA BEAUTÉ INTACTE



Chacun d'eux chevauché par trois soldats espagnols au, moins, les cavaliers s'accrochant l'un à l'autre par les épaules et par le ventre, quelques-uns en kaki, en espadrilles et casque. Des officiers vêtus du bonnet de police, relevaient d'une note inattendue la médiocre uniformité de tenue de leurs hommes. Je descendais de temps en temps pour photo­graphier cet imposant ravitaillement de guerre et la route, ainsi jalonnée de menus incidents, me menait tout doucement vers Larache. J'arrivai sur le plateau, il était une heure. Le soleil au zénith tapait dur. Je poussai la barrière d'un jardin ami. Tout était câline et comme endormi sous la canicule que je ne sentais guère, vu l'épaisseur de ma rezza faite de trois ou quatre mètres de coton blanc et ma djellaba grise rayée de noir dont les plis cachaient mal mes bottes. Seuls êtres vivants dans cet enclos fleuri, des abeilles lourdes de butin rayaient de leur vol pesant l'atmosphère surchauffée et parfumée. La crécelle aiguë des cigales vrillait le silence.

A cheval je fis le tour de la maison, muette, ensommeillée. Au-dessus du perron, une baie largement ouverte offrait le réconfortant spectacle de gens installés autour d'une table de salle à manger. Le premier geste des dîneurs fut de faire chasser l'intrus. Mais aux accents éplorés du pèlerin qui requérait quelque pitance, de gracieuses silhouettes s'avancèrent.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptySam 2 Aoû - 19:06

106  
MAROC,  PAYS DU PARADOXE

S. A. R, la duchesse de Guise suivie de ses filles, riant aux éclats de la méprise que leur valait mon accou­trement de voyage, m'accueillirent avec une amabilité et une simplicité exquises.

— Oh ! Tranchant, que c'est gentil à vous de venir nous voir.

Séance tenante on ajouta un couvert.

Le surlendemain, à Tanger, sur la terrasse de l'hôtel Villa de France, à l'ombre des grands arbres, que les brises de l'Est et de l'Ouest éven­tent., je rencontrai un jeune officier dont les yeux bleus se portaient fréquemment sur la cote d'Europe qu'il venait de quitter.

Nous nous entretenions de son prochain voyage à Fez où il se rendait pour la première fois allant rejoindre la mehalla chérifienne. Ce m'était un évident plaisir que de parler avec lui des impres­sions, encore fraîches de mon séjour. Je pouvais lui être de quelque utilité en l'aidant à constituer la caravane qui lui permettrait de gagner le poste pour lequel il était destiné.

Avec le lieutenant Guillaume, mon compagnon de quelques jours à la Villa de France, je trouvai une nouvelle occasion de répéter ma thèse à quelqu'un qui sut la comprendre.


107  
LA BEAUTÉ INTACTE


Plus je lui développais des idées depuis longtemps en moi, heureux de trouver un auditeur compréhensif, plus les arguments me venaient d'abondance. Peut-être sentais-je confusément que cet homme pourrait, lui, militaire et toujours aux postes de l'avant, devenir pour moi un aide. Je trouvais d'abord en lui une intelligence, un ami.

L'avenir devait confirmer cette première impression.

Je partis pour Paris le lendemain.



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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptySam 2 Aoû - 19:08



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Vue de Tanger


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptySam 2 Aoû - 19:12

108 - 109




DEUXIÈME PARTIE

________





LA BEAUTÉ EN DANGER


FEZ   —   RABAT   - -   MARRAKECH

LES  RESIDENCES


LIVRE DE BORD

D'UN DIRECTEUR  DES  BEAUX-ARTS

( 1912 - 1914 )


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptySam 2 Aoû - 19:20

110 - 111

IX


LES ÉMEUTES DE FEZ



Nzalah Faradji. Six kilomètres de Bab Segma. C'est là que l'ambassade changeait de peau pour entrer à Fez. Les vêtements de voyage font place aux costumes d'apparat, les leggins sont troqués contre les pantalons à deux coups à bandes d'or, le casque et le cheich contre des cha­peaux à plumes. Les poitrines se décorent de rubans multicolores.

C'est l'ambassade décisive pour les destinées nouvelles de la France au Maroc. J'ai la chance d'en faire partie, ayant réussi à gagner par mes arguments la solide compréhension et l'esprit averti de M. Regnault.

Le Sultan s'est décidé a demander notre pro­tection et, rompant en visière avec toutes les tra­ditions établies, sans attente préliminaire, hors des murs, nous entrions en ville et gagnions le Dar Glaoui qui, pour quelque temps, allait être le siège de l'Ambassade française à Fez.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyDim 3 Aoû - 10:26

112  
MAROC, PAYS DU PARADOXE


Che­min faisant, je regardais par-dessus le mur du méchouar le pavillon où Moulay Hafid avait reçu le général Moinier quelques mois auparavant. Il était fermé. A l'entrée de la ville, le service d'ordre était fait par des nuées de mokhaznis. Dans les petites boutiques des premières cours précédant l'ancien méchouar et Bab Dekaken, des marchands de fruits secs, de beurre et de savon regardaient d'un œil ébahi passer tant de plumes, de panaches, juchés qui sur des chevaux, qui sur des mules. La foule n'était pas très dense. Peu de cavaliers en dehors des personnages officiels à qui leurs fonctions commandaient de venir nous souhaiter la bienvenue. Indifférence ou lassitude des fasis ayant depuis près d'un an assisté à d'autres défilés, à d'autres parades.

On accédait au logis de l'ambassade derrière de hautes murailles par un jardin où nous atten­daient toutes les floraisons du printemps, puis par des couloirs et des cours vastes dallées de marbre blanc. Des senteurs de fleurs d'oranger moulaient des enclos voisins. Dans les grandes salles aux larges portes ouvertes pour l'accueil des hôtes, sous le dais peint et sculpté des pla­fonds, une profusion de matelas de soie jaune composait le fond d'un mobilier étrange où trô­naient en un tohu-bohu de nuances heurtées, des fauteuils modernes vêtus de soies cerise et pistache.




113  
LA BEAUTÉ EN DANGER

Dans un angle un piano à queue réflé­chissait en son vernis sombre toute cette palette de couleurs violentes.

Je ne m'attardai pas à considérer longtemps ces somptuosités, car j'étais presque un vieux fasi.  Non loin de là, une maison m'était préparée dont l'ameublement plus simple et plus discret m'était déjà familier. J'allais y retrouver Biarnay et aussi le jeune officier que, six mois auparavant, j'avais connu à Tanger parlant plein d'entrain et d'enthousiasme. Quelques instants plus tard, il me contait ses impressions de Fez, Sefrou, d'El Hajeb, de Meknès, où au hasard des ran­données il avait guidé son tabor. Il venait de rentrer dans la capitale ; son home n'était pas installé encore. Je lui offris de partager mon gîte.

Au cours de la soirée qui suivit, j'eus l'im­pression qu'il n'était pas sans une certaine inquié­tude sur l'état d'esprit général, Divers indices accusaient un lourd malaise, la désaffectation des fasis pour Moulay Hafid avait gagné les tribus. Dans la rue, des gens vouaient tout haut le Sultan à l'exécration.

Le lendemain, je commençais mes promenades dans Fez.


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Ce n'était plus la ville accueillante de l'année précédente. C'était Fez en fin mars, avec ses alter­natives de pluie lente et fine et de bourrasques. Dans la boue du sol glaiseux tout paraît instable et vous fuit sous les pieds. Cette sensation, toute physique, devait s'accentuer les jours suivants, et déborder, semblait-il, dans le regard des Marocains, du Maghzen et sur les visages qu'illumi­nait cependant un sourire.

D'où venait cette inconsistance, cette impres­sion de terrain continuellement mouvant et glissant ? Était-ce la présence de l'ambassade qui avait tellement changé ces gens ? Non. Je revis les négociants et les boutiquiers qui m'avaient accueilli en ami. Ceux auxquels j'achetai des bro­deries et des cuivres me reçurent et m'offrirent de multiples tasses de thé ; mais chez ceux dont l'appât du gain ne venait pas raviver l'amitié, je notais quelque froideur. Un petit geste discret témoi­gnait seul que je n'étais pas pour eux un inconnu. Puis — est-ce une impression ? — il me semble que les tètes se renfrognent et se rencognent dans le fond des boutiques, que les capuchons brus­quement rabattus, cachent des regards sans indulgence. Il est vrai, qu'il fait froid et humide, que les gens par ce temps se recroquevillent volontiers sous leur burnous, dissimulant les mains dans leurs manches.




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LA BEAUTÉ EN DANGER


Peut-être est-ce la température de cette saison inconsistante et folle qui donne un tel aspect de tristesse à cette ville qu'en mes souvenirs je revoyais dans la claire lumière d'un soleil en fête. Mais il n'y a pas que de la tristesse éparse et sur les êtres et sur les choses.

L'année dernière nous étions chez des hôtes empressés. Nous venions de délivrer ces gens d'un grave péril. Ils pouvaient à bon droit nous considérer comme leurs bienfaiteurs. Cette fois nous sommes apparus sous des auspices diffé­rents. Une signature au bas d'un papier allait faire de nous des maîtres. Au palais, où j'accom­pagnais parfois l'ambassadeur, je notais aussi sur le visage des familiers du Sultan une impression de gêne croissante. C'étaient, transposées dans le monde de la cour, avec des nuances, des impressions pareilles à celles que reflétait le monde des marchands. Le Sultan se révélait chaque jour plus hésitant. Au cours des pre­mières rencontres les sourires, les souhaits de bienvenue et les compliments s'étaient trouvés tout naturellement chaleureux. Chaque jour écoulé depuis semblait avoir attiédi l'enthousiasme premier. Cependant les pique-nique et les fêtes se suivaient. Nous étions allés chasser au faucon dans les marais de l'Oued Fez, conviés à un grand déjeuner en un campement maghzen préparé à cet effet.

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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Une promenade avait été organisée sur les contreforts du Zalagh en com­pagnie de Moulay Hafid, fait sans précédent dans les annales chérifiennes.

Je me souviens que ce jour-là l'Empereur du Moghreb, nous montrant les espaces infinis qui s'étendaient devant lui, en dénombrait les riches­ses. Il supputait la valeur du bétail qu'il pouvait nourrir, il vantait la docilité des populations comme un grand propriétaire terrien vante au capitaliste les terres qu'il se dispose à donner en hypothèque. L'année d'avant, il avait le sourire des gens qui étaient volontiers leur gratitude à qui vient de les sauver. Depuis cette époque, beau­coup d'eau avait roulé dans le lit boueux de l'oued Fez. Les libérateurs avaient pris peu à peu figures de créanciers et leur note paraissait lourde à payer. C'était pour qui se croyait ren­seigné, les mille indices de tergiversations chaque jour renouvelées. Était-ce l'agacement résultant des discussions portant sur le chiffre de la liste civile, sur la reconnaissance de ses propriétés particulières ou la crainte de se trouver brus­quement révélé à son peuple en sa véritable posture, lui l'ancien Sultan de la guerre Sainte, dans une attitude bien autrement humiliée que celle qu'avait jamais connue son prédécesseur aux pires heures de la fin de son règne ?



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LA BEAUTÉ EN DANGER

Toujours est-il, que le visage du Sultan accu­sai! un malaise qui ne cessa de s'accentuer après les premières semaines de pourparlers, malgré les réjouissances officielles, les dîners et les thés.

La France était déjà peut-être protectrice du Maroc. Peut-être ? Car ni la France ni le Moghreb ne pouvaient le savoir exactement. Le Sul­tan voulait sans doute que le silence en lut gardé le plus longtemps possible ayant au fond très peur de perdre par une révélation hâtive tout prestige aux yeux do sou peuple. Mais l'intégrité du secret était difficile à garder. Peut-être aussi les tergiversations que je crus noter tenaient-elles à ce que le Sultan s'était trouvé pris do court pour bazarder certains biens de la Couronne, et s'approprier certaines propriétés d'Etat.

Ou commençait à parler du départ après deux mois do séjour. Mais le temps devenait de plus en plus mauvais. Sous nos pas, la boue chaque jour s'épaississait plus gluante. Do continuelles averses noyaient la viile sous un voile de deuil.

Sous les rues, les mille bras de l'Oued Fez grossis par les pluies grondaient tumultueusement comme une sourde menace.

Le départ était fixé pour le 17 avril à midi. Nous devions sortir de Bab Segma ot reprendre la route de Tanger. Le sultan devait partir le 18 pour gagner Rabat et se rapprocher ainsi d'un centre plus facilement défendable.


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Aquarelle de Tranchant de Lunel



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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Il avait décidé de gagner la côte, refuge assuré par le canon de nos bâtiments de guerre contre les manifestations possibles du mécontentement des tribus. Les cérémonies d'adieu commencèrent. Le 16 avril, il y eut un dernier grand déjeuner offert au palais. Nous nous y rendîmes, sous la pluie bat­tante, à cheval, caparaçonnés d'imperméables, et je revois les convives en file dans les rues étroites de Fez Djedid et de Moulay Abdallah, venant répondre a cette invitation dernière du Sultan. On nous fit laisser nos chevaux aux mains des cavaliers d'escorte, et à pied, sous le déluge qui changeait en lacs les cours intérieures du Palais, nous commençâmes une promenade qui se pro­longea par le dédale d'interminables couloirs. Était-ce le temps noir, l'émotion naturelle d'un départ et de la séparation ? Le visage du sultan s'avérait morose. L'ambassadeur restait placide, à son ordinaire. Les traits du vizir El Mokri reflé­taient, chose rare, une inquiétante mauvaise humeur.

Après ce dîner de gala où défilèrent les vingt-cinq ou trente plats qu'il est d'usage d'offrir en telle circonstance, poulets aux olives déchiquetés dans la porcelaine de Chine, pigeons refroidis dans leur farce, le méchoui desséché et enfin toute la kyrielle de friandises qui termine à l'ordinaire les agapes chérifiennes, le café fut servi.,... à deux ou trois cents mètres de là, dans la béniqa isolée du méchouar, au premier étage.




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LA BEAUTÉ EN DANGER

Un immense tapis dont la dominante noire apportait une note un peu lugubre, couvrait le sol. Tout doucement, le long des murs la pluie ruisselait qu'avait laissé passer la toiture ravagée. Des plaques de moisissures envahissaient les mu­railles comme une lèpre. L'eau s'épandait sur le sol et sous nos pieds. Avec un bruit d'épongé le tapis semblait monter, le sol se mouvoir et se dérober.

Le Sultan et l'ambassadeur s'étaient attablés devant un échiquier.

Au retour, ce fut une débandade dans les rues étroites et inondées de Moulay Abdallah. Nous passions devant la maison de l'ingénieur du sul­tan. Je fis à Mme Bringaud, sortie sur le pas de la porte pour assister au défilé, un signe amical, d'adieu, m'excusant du geste de ne pas m'arrêter à cause du temps affreux.

Lo soir vint. La pluie tombait toujours, torrentielle. L'Ambassade était on fête. C'était le dernier dîner. Un feu d'artifice était tiré sur les terrasses en signe d'allégresse, et les cataractes dégringolant du ciel n'arrêtèrent pas la pétarade de marrons et de fusées retombant en gerbes sur la ville morne. Dans les salons, les gens posés jouaient au bridge et les jeunes gens comme Guil­laume dansaient et flirtaient.


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Regagnant notre logis, Guillaume encore sous l'excitation de la musique et des lumières me parlait de l'élégante colonie féminine qui remplis­sait tout à l'heure les salons de l'Ambassade.

Cette soirée qui devait être la dernière que la mission passerait à Fez ne le fut pas, car on avait réussi à faire revenir l'ambassadeur sur les déci­sions prises et à lui démontrer la folie d'un départ, par une telle température. C'eût été vou­loir s'enliser dans la boue des pistes où notre caravane n'aurait pas pu faire autre chose que de camper et de s'immobiliser peut-être pour des semaines. Ce fut heureux. Car si l'Ambassade continuait à vivre dans la liesse d'une mission réussie, depuis quelques jours les confidences que me faisait le commandant de Lamothe, jointes à celles de quelques amis renseignés n'avaient pas été sans causer quelques inquiétudes à ceux qui comme moi pouvaient s'être rendu compte de la désagréable attitude de la population fasi à l'égard de ses hôtes. Aussi chaque matin, obéis­sant à la volonté de Guillaume qui nous voulait prêts à toute éventualité fâcheuse, nous faisions galoper les deux chevaux que j'avais amenés de Tanger. Nous les entraînions aux allures rapides en terrains difficiles pour augmenter nos chances d'échapper à une attaque éventuelle.




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LA BEAUTÉ EN DANGER



Je montais l'un ; l'autre était destiné à mon domestique. Cette nuit-là, dans ma maison très démeublée, car mes bagages avaient été préparés et Guillaume avait fait transporter les siens chez ses amis Cuny et de Lesparda, nous continuâmes, nonobstant des arrière-pensées tristes, à deviser assez allègre­ment. Le 17, vers huit heures, mon compagnon partit ainsi qu'à l'habitude, rejoindre son tabor, monté sur le brave cheval gris qui, en 1911, l'avait amené de Tanger a Fez après m'avoir conduit de Fez à Tanger.

Je me levai assez lard. Je n'avais plus rien à faire. Je pensais que cette ville mystérieuse m'avait livre tous ses secrets. La série de mes visites d'adieu était close.

J'avais obtenu ce que je désirais : je devais rentrer à Paris avec M. Boulogne, chargé par M. Regnault d'organiser le protectorat en qualité de secrétaire général. On me confiait dans celle organisation nouvelle la conservation des monu­ments historiques et des antiquités, et la mission de créer des centres a l'usage des Européens, afin d'éviter de renouveler des erreurs commises en Algérie et en Tunisie où les anciennes villes indi­gènes n'ont été que fort peu respectées. J'entre­voyais une journée de désœuvrement. Je pris enfin le parti d'errer dans les souks.


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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Je marchandai quelques bibelots en compagnie de l'Intendant Lorie rencontré sous le gros mûrier qui marque le carrefour où vers midi les dellals poussent leurs enchères,

Je devais le voir là pour la dernière fois.

L'heure du déjeuner me rappela dans la ville haute où mes camarades m'attendaient : Biarnay, Cuny, de Lesparda, Guillaume.

Pour la première fois depuis tant de séjours à Fez, au moment où je remontais à cheval, j'en­tendis derrière moi une réflexion malsonnante. Je ne pouvais croire tout d'abord qu'elle s'adres­sait à moi, et par dignité, pour ne point paraître l'avoir comprise, et aussi parce qu'à la réflexion, elle précisait en moi toutes les impressions de danger et de malaise qui m'avaient assailli depuis plusieurs jours, je piquai ma monture de l'éperon, Ma bête partit au galop dans le labyrinthe des rues montueuses. Mon cheval, sensible, et peu habitué à des sautes d'humeur de ma part, fit un écart dans une rue du Tala où je voulais l'engager ; il refusa de sauter un égout crevé. Je jugeai inutile de le contraindre et remontai vers la gauche par le quartier de la Doua. Bien m'en prit, car si j'avais suivi la route accoutumée, quelques moments après j'eus cessé de vivre, je me serais trouvé sur le chemin où, au même instant, nos amis Cuny et de Lesparda étaient abattus.



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LA BEAUTÉ EN  DANGER



Leurs têtes tranchées, portées au bout de piques dans les rues de la ville, suscitaient le furieux enthousiasme des révoltés.

J'appris ce crime dès mon arrivée à la maison, où Biarnay seul était rendu. Je le trouvai installé, l'air soucieux, auprès d'un vieillard à barbe grise qui, accroupi dans un coin de la pièce, racontait les premières péripéties de la sédition et nous découvrit la fin tragique de nos camarades. Guillaume n'était pas rentré. Peu après, Biarnay me quittait pour aller à la T. S. F. et je restai seul. Des coups de feu d'abord espacés, puis plus rapprochés, crépitaient maintenant sans trêve. Une rumeur de foule excitée faisait une basse lugubre aux cris aigus de femmes et au claque­ment sec des coups de fusil.

Tout à coup ce furent les détonations des obus éclatant ça et la, dehors ou sur la ville, tir au canon intermittent, révélateur des mains mala­droites maniant l'arme de mort. Impatient, je montai sur la terrasse. Des balles sifflaient. Notre rue était prise en enfilade par des projectiles qui faisaient sauter les écailles de chaux desséchée des murailles.

Je résolus de passer par les ter­rasses chez le commandant de Lamothe qui occu­pait une maison voisine de la nôtre et qui, dès les premiers mots, ne me cacha pas la gravité de la situation. Il avait prévu la révolte. Il ne s'attendait point toutefois à ce qu'elle prît brusque­ment un caractère aussi aigu.



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Evénements de Fez, 17-19 Avril 1912

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MAROC, PAYS DU PARADOXE

Il me parut qu'il convenait de rallier l'Ambassade au plus tôt. Le devoir était de s'y grouper. Dans la fusil­lade qui faisait rage je me dirigeai vers le Dar Glaoui.

Des balles perdues s'écrasaient sur les murs pendant que j'accomplissais le court trajet qui m'en séparait.

Dans l'entourage de M. Regnault, on ne parais­sait pas encore extrêmement ému par les événements qu'on connaissait mal et seulement par ouï-dire. Mais j'en savais plus qu'aucun de ceux qui se trouvaient à l'abri derrière la triple porto du palais des Glaoua. J'avais dans les yeux une vision rapide, mais horrible, celle de la horde portant en sanglants trophées les deux têtes de mes camarades qui, peu d'heures auparavant valsaient encore dans le même salon, maintenant si morne, de l'Ambassade. Une inquiétude plus insupportable que tous les dangers m'inspira l'idée de me rendre auprès du général Brulard qui avait établi son P. C. à l'hôpital. Je croisai Biarnay sur la porte de l'Ambassade. Il était livide. Je n'eus pas à l'interroger pour apprendre qu'aucun de ses collaborateurs, sauf un, n'était au poste de la T. S. F. à Bal El Hadid, Les cinq autres, assiégés dans leur maison à l'heure du déjeuner, étaient certainement tombés aux mains des rebelles et égorgés.



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LA BEAUTÉ EN DANGER
Biarnay me dit encore qu'il avait essayé de se rendre jusqu'à leur appartement et d'y péné­trer, mais que, repoussé par les remous d'une foule en fureur et les coups de feu d'askris juchés sur les terrasses voisines, il avait aperçu une horde d'indigènes qui, les mains rouges de sang, sortait de la maison. Il avait donc, jugé inutile d'aller plus loin. Pour ses collaborateurs tout était fini... comme pour tant d'autres.

Dans la même soirée, vers dix heures, nous devions retirer, par morceaux, de cette maison qui, depuis, est devenue la chapelle, les cadavres calcinés de nos malheureux camarades.

Vers cinq heures du soir., sous une pluie battante, les tirailleurs du bataillon Philippot qui, partis de Dar Debihagh après une marche ter­riblement pénible, avaient pu pénétrer par Bab El Hadid, arrivaient pour nous secourir, non sans avoir perdu en cours de route de nombreux morts et blessés sous le feu combiné des révoltés qui tenaient le Mellah et les jardins. Entre Fez Djedid et Dar Debibagh, un camp nouveau, le camp Fellert avait été organisé à l'endroit où se trouve actuellement Dar Marès. Le Mellah pris d'assaut et saccagé par les rebelles, les Askris révoltés, tourbe de Fez et ruraux des tribus environnantes accourus au pillage, était devenu le repaire d'où partait sur nos troupes le feu le plus meurtrier.


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyMer 6 Aoû - 18:17


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MAROC, PAYS DU PARADOXE


Nos obus sillonnant le ciel, pas­saient par-dessus la ville, allaient rendre inte­nables aux révoltés le Bordj Nord, le Bord] Sud et les jardins avoisinants.

Dans l'après-midi du 18, le bataillon séné­galais s'emparait du Bordj Sud, ce qui débloquait un peu la casbah de Tamdert. A Bab Ftou, un de nos officiers instructeurs, le capitaine Justinard, avait réussi à maintenir dans l'ordre une partie de son tabor. Telles étaient les nouvelles vagues et sans cohésion qu'il nous était donné de connaître dans les premières vingt-quatre heures de la révolte. Nous savions seulement que la plupart des Français établis à Fez avaient été massacrés.

La nuit du 17 au 18 avait été lugubre. Campés à l'Ambassade, n'ayant pu, ni les uns ni les autres rejoindre nos logis respectifs, boueux et trempés, nous veillions alternativement par escouade, nous reposant ensuite sur les matelas de soie jaune. La fusillade et le bruit du canon ne cessaient pas. Des balles perdues ricochaient dans le patio de marbre. Mais je songeais moins à toutes les me­naces que pouvaient contenir l'heure présente et ses lendemains qu'au sort de mon pauvre cama­rade Guillaume qu'on m'avait affirmé avoir été tué derrière une haie avoisinant le Bordj des Cher-rardas tandis que Renaie, son collègue du tabor de la cavalerie, avait été brûlé vif dans le bureau de son unité.



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LA BEAUTÉ EN DANGER

La nuit longue s'était écoulée, comme la journée de la veille, dans l'attente et les plus tristes conjectures. Sur les terrasses de l'Ambas­sade, à l'abri qu'offraient les créneaux et des retours de murs, nous assistions à la plus extra­ordinaire bataille qui se pût voir.

 Nous nous trouvions placés sur une sorte de promontoire au milieu du cirque que compose en cet endroit la masse des constructions fasies et aucun des épisodes intéressants de la lutte engagée ne nous échappait. Les bandes de rebelles entrant et sortant des bois d'oliviers du bordj nord, les groupes armés émergeant des ravins du bordj sud, les cavaliers dévalant des pentes du Zalar, tout cela, par instants disparaissait dans l'écla­tement des obus du camp Feller et composait une série de tableautins dramatiques constam­ment renouvelés. Dans  la  ville, la guerre des rues continuait. Nous l'imaginions sans la voir. Des  coups de feu sans nombre claquaient sur tous les points de cette immense termitière au pillage.

Le bruit des portes enfoncées, les coups de pétoires, et les hurlements composaient une sym­phonie dramatique allant à chaque instant crescendo ;


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MessageSujet: Au pays du paradoxe - MAROC -   Au pays du paradoxe - MAROC - - Page 3 EmptyMer 6 Aoû - 18:20


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Plan de FEZ - 1912 -


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