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Mémoire de la présence Française au Maroc à l'époque du Protectorat
 
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 VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.

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Pierre AUBREE
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page de couverture

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. La_vie52

ANDRÉ CHEVRILLON



de l'Académie Française

VISIONS DU MAROC



llustrations de F. DETAILLE
F. DETAILLE, Editeur
77, La Canebière, MARSEILLE



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page 5

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 01-vis10


ANDRÉ CHEVRILLON

de l'Académie Française

VISIONS DU MAROC

Illustrations de F. DETAILLE

MARSEILLE F. DETAILLE, Editeur
77, La Canebière, 77
1933


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. Visio201

TABLE DES MATIERES

Tanger..........9
Casablanca..........23
Rabat..........27
Salé..........57
Marrakech..........71
A travers l'Atlas..........91
Au pied de l'Anti-Atlas..........103
Meknès..........115
Fez ..........135
L'influence moderne et le vieux Maroc..........171

COLLABORATEURS
M. Henry VA RADE pour la composition et dessin de la couverture, des lettres ornées et bandeaux.
Les photographies des pages 16, 19, 45, 49, 103, 111, 116, 124, 147, 148 nous ont été aimablement communiquées par
les services de la Résidence ;
celle de la page 21 par M. BLANCO, photographe à Tanger;
celle de la page 114 par M. VIMAL, contrôleur civil à Mogador.




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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyLun 13 Fév - 8:36

page 9

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 01-vis11

TANGER

En mer

Depuis ce matin, la côte africaine est en vue. D’abord, de très bonne heure et très loin, la montagne des Singes, haut piton montant, au sud-ouest, de la ligne d’horizon, — d’une pâleur étrange sous des bourrelets de nuages, un peu bleuie par la distance. Peu à peu des saillies, des stries s’y révèlent, mais nul indice de végétation; la noble nudité de la roche dressée dans l’espace, nous parlant du dessous permanent du globe, et annonçant ici, pour qui vient de la Méditerranée, un grand trait de sa figure : deux continents qui se font face, et le débouché dans l’Océan d’une mer qui s’en va jusqu’à l’Asie. De la Lune, cela se verrait. On éprouve l’émotion géographique, plus intense encore, quand on survole en avion le détroit.
Bientôt le fier éperon de Gibraltar n’est plus qu’un infime détail de la côte espagnole, noyé dans la brume d’argent qui la voile à demi par les beaux jours. Déjà les signes de l’Atlantique : des houles crêtées de blanc qui s’espacent, des tramées de goémons, ces goémons à vésicules brunes, si différents des algues en rubans dont les lits blanchissants couvrent les plages méditerranéennes. Et çà et là, devant nous, des zones sombres de remous où la mer est comme en ébullition, des tumultes presque noirs, tranchant sur le bleu de l’étendue, et où le navire entre tout d’un coup en tanguant. Les eaux vivantes, le clapotis d’un courant qui se heurte par-dessous à des basses. Courant à l’est toujours, dans le détroit, — afflux de l’Océan appelé par la continuelle évaporation du grand bassin intérieur.
Et soudain des marsouins, de vrais marsouins, dont l’aileron, le dos noir surgissent et semblent tourner en replongeant. Jusqu’ici nous n’avions vu que des dauphins, bien plus petits, mais si beaux, animés d’une telle énergie de vie ! Ce matin encore, à l’aube, il y en avait toute une bande. Soudain, ils se révélaient, ombres grises dans la transparence marine, accourus à la vue du bateau, pour rien, pour le seul plaisir de venir lutter de vitesse avec lui, autour de l’étrave. Comme ils jaillissaient de la vague, bondissant avec des reflets de métal, les uns par-dessus les autres, — et tout de suite, entre deux eaux, redevenus fantômes que l’œil peut à peine suivre !
Déjà le milieu du grand couloir. De la passerelle, je cherche, au fond d’une baie perdue au sud-ouest dans une fumée lumineuse, l’apparition de Tanger. Enfin, dans le rond de la jumelle, s’ébauche une sorte de hérissement très pâle et vaporeux. Cela ne semble pas réel. C’est comme un souvenir d’autrefois qui lentement se reforme. Mais je reconnais bien la silhouette de la ville qui, de sa falaise, semble crouler de côté vers la blancheur d’une plage.
Au nord, la rive d’Europe a reculé. On ne voit plus les vieilles tours de guet aux tons de rouille qui la jalonnent, celles qui surveillaient, il n’y a pas si longtemps encore, les mouvements des pirates barbaresques. Cette petite tache indécise et si pâle, il faut savoir ...


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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyLun 13 Fév - 8:46

page 10

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 02-vis10


... que c’est Tarifa. L’Espagne vue d’ici n’est qu’une houle de montagnes stériles, africaines déjà. Depuis hier, elle ne montre que sa Sierra qui se déroule, et dont le soleil, à son lever, teinte les neiges de rose.
A moins de quatre milles au sud, se développe la côte marocaine, chaque détail de son relief découpé dans la lumière de l’après- midi. Des pentes jaunes, désertiques, dont les ombres accusent les creux, et par delà, des cimes de roches nues, des lames derrière des lames, les plus lointaines hérissant le ciel de leurs ressauts aigus. C’est le lunaire massif du Rif, — au temps de notre premier séjour au Maroc, l’une des régions mystérieuses encore de l’Afrique, repaire de tribus indomptées, où personne, de Tanger, ne songeait à s’aventurer. On n’en savait que ce qu’en racontait un Juif d’Oran, un certain Mouliéras, renseigné, disait-il, par un émissaire musulman qui, des mœurs rifaines, rapportait des choses fabuleuses.
Des ruines passent, de sombres morceaux de tours, de fortins abandonnés depuis longtemps sur une plage. Je les trouve indiquées sur la carte marine; cela porte encore un nom : El Qçar. Ensuite, seul autre signe que l’homme ait laissé dans cette solitude, une petite koubba blanche, au flanc de la montagne. On en trouve un peu partout sur la grande côte, en face des houles atlantiques, de ces vieux tombeaux de saints. Entre les ports, les villes que séparent de longs espaces, il n’y a rien d’autre. La ruine, la mort, la religion, c’était tout le thème du vieux Maroc.


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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyLun 13 Fév - 8:47

page 11

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 03-vis10


Une demi-heure plus tard, tout redevient vivant. Nous sommes en rade; la cosmopolite Tanger se dresse devant nous. Tapage de la chaîne d’ancre qui court en raclant sur l’écubier; pulsation pressée d’une vedette qui accourt. Des felouques nous assiègent, et la criaillerie arabe commence de sonner.
Ils sont là, tout près, les marins et les marchands maures, les uns, en culottes bouffantes, jambes nues, pesant sur de lourds avirons; les autres en djellabas de couleur, la sacoche au côté, et qui déjà, de leurs barques, nous tendent je ne sais quels bibelots. On amène l’échelle, et tout de suite, ils ont escaladé le navire et nous harcèlent. Premier contact avec cette humanité différente, celle d’Islam, développée à part, depuis si longtemps fixée dans sa forme, et qui, durant tant de siècles n’a communiqué avec la nôtre que par les chocs du sabre et de la lance. Je les regarde; leurs visages, leurs gestes devraient me dire quelque chose de l’essence de leur monde, des idées et disciplines qui ont façonné toutes les vies de leurs ancêtres. Mais non, des camelots quelconques, — les yeux seulement, où la noire pupille se dilue dans la cornée, plus troubles que ceux d’Europe. Ils déballent des briquets, des maroquineries ; ils nous poursuivent de leur sabir. L’un d’eux, enfin, vient de trouver un chaland, et, son argent empoché, il fait le signe de la croix. Un chrétien ? Je lui pose la question. Non; simplement, il a fait sa première vente de la journée, et ce geste porte bonheur.
A l’écart, un vieux à barbe très islamique, reste digne. Il s’est assis sur ses talons, et sans bouger ni parler, fume une pipette de kif devant son petit étalage.
La ville s’est élargie du côté de la plage; mais ses traits sont toujours les mêmes. En bas, voilà le beau minaret vert de la Grande Mosquée; et là-haut, à droite, celui, plus mince, qui surveille les blancheurs superposées de la Kasba, et semble planté dans un monceau de neige croulante. Au sommet de la colline, je distingue les grandes clôtures grises du Dar Maghzen. Et cette bande rouge, à côté, ce ne peut être que le jardin suspendu du café maure, son parapet chargé d’ardentes floraisons qui débordent sur la falaise. Qu’on était bien là, le matin, hors des étroites ruelles, à s’emplir les yeux d’espace et d’azur, à suivre, sans penser à rien, la course sans fin des ...


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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyLun 13 Fév - 8:48

page 12

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 04-vis10

- En vue de Gibraltar.

- La vedette de Tanger.


... vagues poussées par l'Océan dans le détroit !
Et, presque mêlé à la grimpante Kasba, la prolongeant par en bas, sur la gauche, voilà le quartier juif, reconnaissable seulement au bleu si léger qui en nuance la chaux. Ce bleu imperceptible, ce bleu de glacier, c'est la teinte qui signale tous les mellahs du Maroc. Juifs et musulmans vivent côte à côte, et presque de la même vie. Ensemble, ils ont traversé tous les siècles de l'Islam maghrébin. Etrange symbiose de deux espèces qui ne s'aiment pas...
Non, presque rien de changé. Seuls, de l'autre côté de la ville, les immeubles modernes, des bâtisses de six ou sept étages — un haut massif — disent le régime nouveau, la domination des Européens.
Au-dessous commence la plage, la longue arène vide où, en 1905, nous n’osions plus aller galoper, depuis que le brigand Raïssouli, le célèbre ravisseur du Grec Perdicaris et de l’Anglais Harris, tenait les abords immédiats de Tanger. Elle est toujours là, sous la montagne, à l’autre bout des sables, la villa d’où ce Harris a si longtemps écrit sa correspondance du Maroc au Times. Maison historique aujourd’hui. Des hôtes royaux l’ont fréquentée : l’ancien sultan Moulay Hafid, qui venait y jouer au bridge et trichait si comiquement; et son prédécesseur, Abdel Aziz, qu’il avait détrôné; et Raïssouli lui-même, devenu l’ami de son ancien prisonnier. Ce magnifique bandit gouvernait alors Tanger, ayant exigé pour rendre M. Perdicaris, sujet britannique, d’en être nommé pacha; — le gouvernement anglais avait dû appuyer cette prétention. Tel était alors le Maroc. Harris a raconté ces funambulesques histoires.

II

Deux heures d’escale ; on peut aller à terre. La vedette a vite fait de nous jeter à l’estacade.
On pénètre dans la ville par un souterrain, et déjà le fer à cheval de la voûte, avec sa broderie de grands entrelacs, nous présente le fier décor mauresque. On grimpe par des couloirs, et tout d’un coup, on est en plein courant de foule, dans la rue de la Marine où se ...


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 03-vis10

- En vue de Gibraltar.


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 3-visi10

- La vedette de Tanger.




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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyLun 13 Fév - 8:49

page 13

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 05-vis10

- Devant Tanger.


... presse un flux d’humanité hétéroclite. Une étonnante mêlée de races ; ou plutôt elles se juxtaposent, se succèdent par tranches.
D’abord, au bas de la rue, surtout des gens d’Islam, des hommes en burnous et djellabas. La Grande Mosquée est là; à son pied, un dormeur allongé sur le banc de pierre d’un porche magnifique semble un gisant sur son tombeau. Du grand haillon qui l’enveloppe, ne sort qu’une barbe grise. Humbles commerces par ici : échoppes, menus étalages d’épices, de beignets, brochettes et cacahuètes. Plus haut, entre des magasins à vitrines, une population d’aspect levantin : des mentons bleus, des visages atones sous des casquettes ou des feutres mous. Juifs ? Arméniens ? Espagnols ? Kabyles en vestons ? Impossible à dire. Et puis, des bureaux de change, des cafés européens, leurs terrasses peuplées de messieurs en costumes de plage, de dames en chandails, cheveux courts, jupes courtes, jambes et bras nus. Relents de bocks, de cigarettes.
Et soudain, à l’approche du grand Sokko, on replonge dans le monde arabe. Des baudets vous bousculent, des âniers se querellent, des formes voilées passent, où luit l’eau noire de deux yeux entre deux plis de laine; des vieillards enturbannés marchent comme en rêve; des diablotins surgissent, dont la sombre caboche rasée ne porte que la mèche du Prophète. Et de nouveau, les odeurs d’épices et de fritures. Quels raccourcis d’humanités diverses dans cette étroite rue !

Par exemple, dans le grand Sokko, je ne m’attendais guère à trouver une station de taxis ! La Tanger que j’ai connue n’avait pas un véhicule; on ne circulait qu’à cheval, mulet ou bourricot. Pour aller aux dîners diplomatiques, les dames des Légations, un burnous jeté sur leurs épaules nues et leurs perles, grimpaient sur des mules. Les portages ne se faisaient qu’à dos de bêtes, et pour les plus lourds, c’étaient des chameaux.
Elles sont là toute une file, les autos, comme sur une place de Paris. Et l’on a planté de petits arbres, d’aspect tout municipal. Il y a même des trottoirs et des refuges. Seulement, au-dessus de ces nouveautés, un minaret lève sa vive polychromie, et l’on n’a ...

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 04-vis10

- Devant Tanger.



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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyLun 13 Fév - 8:51

page 14

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 06-vis10


... pas touché à la vieille arche qui donne dans la rue Siaghine, ni aux beaux jardins du fond : épaisseurs de lauriers, thuyas, cèdres, d’un lustre si grave dans l’ardeur de l’espace.
Malgré tout, le Sokko est encore un marché arabe. Il n’occupe plus guère qu’un moitié de la grande aire; mais par là, quelle confusion de bêtes et de gens ! On n’aperçoit d’abord qu’une masse vivante, fondue dans un seul ton de laine et de poussière. On dirait un souk de campagne, une de ces foires où l’on voit se ramasser, au milieu du grand pays vide, la petite vie, généralement invisible, du bled.
Foire à moutons, celle-ci, comme toutes celles, d’ailleurs, des pays arabes. Les pauvres moutons du Maroc ! Plus encore que les humains, et presqu’autant que les petits ânes, leurs frères en humilité, ils m’attirent, et je vais toujours les regarder. Les voilà par troupeaux, serrés en cercles, en carrés, chaque rang de tête, pour tenir moins de place, enchevêtré aux têtes opposées. Si résignés, si patients à se laisser tâter, manier par les chalands. Les yeux fermés, tremblant seulement un peu sur leurs pattes, ils attendent leur sort, trop annoncé par les tripes, les sanglantes toisons qui pendent sur l’étal d’une boucherie voisine. De fortes bêtes, à laine jaune, aux grandes cornes enroulées. L’odeur du suint nous enveloppe, avec la clameur des enchères et des marchandages.
Beaucoup de campements autour de la place, — des tentes très basses, comme celles des nomades : rien qu’un rude tellis noir posé sur deux petits piquets. Dans l’ombre intérieure, on devine, çà et là, une figure de femme penchée sur un petit foyer de braise, des dormeurs couchés sur une natte.
En ce moment, il n’y a que des campagnards ici, bédouins, pasteurs venus de la montagne, berbères poussant leurs troupeaux devant eux, et qui vont vivre là quelques jours, jusqu’à ce qu’ils aient vendu leurs brebis. Les bourricots qui les ont portés sont alignés et, debout, semblent dormir. Si pitoyables presque tous, — les flancs écorchés par le frottement des couffins, la croupe tannée par les coups de bâton, et balafrée de cicatrices. L’un d’eux, tout d’un coup, se met interminablement à braire. Appel d’amour, sans doute, mais qui tient du sanglot. Leur existence n’est que martyre, et l’instinct qui pousse tout vivant à perpétuer son espèce peut bien se mêler chez eux de désespoir. Beau thème à philosopher, et dont Schopenhauer eut tiré parti.
Mais où sont les chameaux ? Je n’en découvre pas un; les camions, le chemin de fer ont dû les remplacer. Bêtes fabuleuses, — autrefois le trait principal du Sokko, et dont je m’ébahissais toujours. Accroupis au milieu de la foule, ils formaient de fauves monticules. Indéfiniment, ils remâchaient leurs herbes; leurs yeux globulaires semblaient ne rien voir. Hautaine ou léthargique stupidité ; mais quel réveil, aussitôt qu’on commençait de les charger, quelle explosion de colère ! Les lippes retroussées, leur cou reptilien soudain retourné vers le maître, ils faisaient le geste de l’attaquer de leurs affreuses dents. Rien que le geste; les furieuses grogneries s’apaisaient vite.
Autre changement : ces paysans n’ont plus l’air de guerriers. Ils n’apparaissaient à Tanger que la cartouchière à la ceinture, et le fusil au dos — non pas de ces longs fusils cerclés de cuivre ou d’argent que collectionnent les amateurs de turqueries, mais de bonnes carabines Winchester. C’était le temps où les pillards enlevaient les troupeaux, où les douars « mangeaient » les douars. Un homme n’était un homme que s’il portait ses armes; il ne les aurait pas plus quittées qu’autrefois un gentilhomme français, son épée ou sa dague.
Et point de fête pour eux sans les jeux du baroud. Aux grandes journées du ...


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page 15

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 07-vis10

- Marché aux moutons.


... Mouloud ou de l’Aïd-Kébir, c’était leur ivresse de faire parler la poudre. Elle tonnait, ces après-midis là, sur la place du Sokko. L’espace manquait pour les fantasias à cheval, ventre à terre, fusils brandis à bout de bras et partant tous à la fois. Des danses guerrières les remplaçaient, mais bondissantes, de plus en plus exaltées, frénétiques parmi des cris, sous des tournoiements de carabines, — celles-ci, à l’instant du paroxysme, soudain abaissées vers le sol, et déchargées d’une seule explosion.


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 05-vis12

- Marché aux moutons.



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page 16

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 08-vis10

- Vue générale de Tanger.


C’est en un jour mémorable — l’Histoire en garde la date — que je vis ce spectacle pour la première fois. Le 31 mars 1905, Guillaume II venait à Tanger parler haut à la France. Depuis la veille, on s’étonnait de voir camper sur le marché, et jusque sur la plage, des gens de tribus dont on n’avait jamais vu les figures; on se demandait qui les avait appelés, par quels moyens on les avait décidés à venir. Ceux-là, de mine assez inquiétante, menèrent les fantasias les plus forcenées, et furent les plus ardents à acclamer l’impérial visiteur. Je laisse remonter ce souvenir.
A sept heures du matin — l’heure fixée pour son arrivée à terre — j ’avais couru au port. Pavois dans les rues, banderoles de bienvenue, rumeur, excitation de foule. Malgré nos accords de 1904 avec l’Angleterre et l’Espagne, la colonie allemande n’était pas seule à se réjouir de l’événement. Au Maroc, objet de vieilles rivalités, les Espagnols ne s’étaient pas encore rangés à la situation nouvelle. Parmi les arches triomphales qui attendaient l’empereur, la leur, gardée par deux groupes de jeunes beautés, en blanc, chevelures déroulées sous des couronnes de feuillages, était la plus somptueusement fleurie. Est-ce un mauvais plaisant ou un mauvais linguiste qui en avait rédigé l’étonnante inscription : Heil unsern Kaiser : la Colonia Espagnol ?
De la Darse, où nous attendions, on voyait bien le Hamburg; il était là, mouillé en rade, mais nul signe d’un mouvement de Guillaume. Huit heures, neuf heures passèrent, et rien n’annonçait sa venue; ce n’était pas l’état de la mer, comme le dirent plus tard ...

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- Vue générale de Tanger.



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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyMar 14 Fév - 8:52

page 17

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 10-vis10


... les journaux allemands, qui pouvait expliquer ce retard. Décidément, il renonçait. La foule commençait à s’éclaircir, et je repris le chemin du Sokko.
J’y étais encore à onze heures, quand le canon se mit à tonner. Vingt minutes plus tard, le cortège officiel, à cheval, débouchait sous la Porte de Fez : des soldats chérifiens, le vieux pacha Torrès,un cortège de dignitaires en voiles immaculés. Il parut. Une entrée de théâtre, — tête haute sous le casque à pointe, le visage de marbre, les yeux, par-dessus la foule qui l’acclamait, ne regardant que l’espace. Une rigidité de commande, la volonté d’en imposer — imponieren — d’imposer l’impression de la toute- puissance. Sa conception de la majesté. Mais sa monture n’avait rien d’impérial : la bête la plus bourgeoise, la plus paisible — je l’appris le même soir — qu’on eût réussi à découvrir à Tanger, — le cheval blanc d’un médecin français, le Dr Fumey, qui, n’aimant pas à caracoler, se servait de ce bidet pour ses visites (1).
Une troupe de généraux suivait, casqués comme le Seigneur de la guerre, sanglés dans des tuniques bleu de Prusse, l’aigle noir au cou, la poitrine constellée de décorations. Quelques-uns, pourtant, manquaient d’allure militaire : chambellans, conseillers, familiers du maître, j’imagine, honorés d’un grade surtout honorifique.
La procession longea le jardin de la Légation d’Allemagne (il borde encore un côté du Sokko), et s’enfila dans le portail. Il y eut un grand déjeuner où sonna le discours de l’Empereur. Au dehors, jusqu’à trois heures, la foule se pressa, son premier rang collé au mur, comme cherchant à entendre les souveraines paroles. Les fantasias continuaient, étourdissantes, coupées de coups de fusil. Toute l’après-midi, l’odeur et la fumée de la poudre flottèrent sur le Sokko.

III

La dernière heure de l’escale, nous la passons dans les blancheurs de la haute ville. Pour aller chez les Maures, il faut traverser le quartier juif, et pour aller chez les Juifs, prendre d’abord par la rue des Chrétiens — un nom qui fait rêver, évoquant les temps, si peu éloignés au Maroc, où le grand signe d’une société était sa religion. L’Islam et la Chrétienté s’opposaient alors sans qu’on distinguât entre les nations.
Il faut l’imperceptible bleu des murs pour qu’on reconnaisse l’entrée du Ghetto. Ruelles, maisons, boutiques, tout cela pourrait être musulman. Mais la vie ici n’est pas secrète ; les femmes ne sont pas voilées ; les portes ne sont pas closes. Au fond des couloirs de faïence, dans le demi-jour d’une cour intérieure, ces ménagères, en jupes, corsages et fichus, qui s’affairent à leurs besognes, ressemblent de loin à celles de nos faubourgs populaires. Et dans la rue, les anciens costumes du Mellah sont devenus rares; les jeunesses sont en robes courtes, à l'européenne, mais la vivacité des couleurs dit le goût oriental. De beaux visages lisses, la chair presque translucide, et souvent une tache de rose chlorotique aux pommettes. Çà et là, des Juifs de l’ancienne espèce, en culottes bouffantes, huileux, dépenaillés, la tignasse débordant sur le front de la calotte crasseuse, ...

(1) C’est de ce cheval qu’il est question dans l’étonnante lettre que Guillaume écrivit en août 1905 au chancelier de Bulow : « N’oubliez pas que vous m'avez mis personnellement en scène à Tanger, et contre ma volonté, pour obtenir un succès dans votre politique marocaine. Je suis descendu à terre pour vous, parce que la patrie l’exigeait, sur un cheval inconnu, malgré la gêne causée par mon bras gauche ankylosé, et il s’en fallut d’un cheveu que ce cheval ne me tuât, moi votre enjeu. J'ai passé au milieu des anarchistes espagnols... » (Mémoires du chancelier de Bulow, II p. 171.)



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page 18

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 11-vis10

- Au Mellah.


... les papillottes tire-bouchonnant sous les oreilles décollées. Quelquefois un vieillard comme on n’en voit que chez Israël, en souquenille, tramant ses babouches noires, ou bien assis sur ses talons au coin d’un carrefour, la tête effondrée dans sa barbe de prophète... Quand ils lèvent les yeux, quel regard lointain de rêve et de tristesse ! Leurs visages sont ravinés de rides; ils n’appartiennent plus à la vie.
Ribambelles d’enfants, lestes, hardis comme des moineaux picorant dans le crottin. Des marmots de quatre ans nous assaillent, nous tendent leurs petites pattes quêteuses, et dans leurs piaillements revient sans cesse le mot favor, favor ! L’un d’eux nous a pris la main; il prétend vouloir nous guider et ne nous lâche plus.
De fades relents nous arrivent. Près de nous, un boucher chantonne derrière un bac rouge du sang des bêtes rituellement saignées. Une traînante mélopée, bouche fermée, où viennent trembler d’insaisissables modulations mineures. L’homme porte le calot noir des youdis, mais le chant est tout arabe.
Plus haut, le blanc bleu se muant en blanc pur, nous voici dans la Kasba. Encore des essaims de mioches par ici. Comme il y en a, de ces petits ! Le peuple musulman de Tanger, dont la vie se retranche sur cette hauteur, n’est pas près de s’éteindre. Et comme ils jouent ! Quelle gaîté dans les tristes venelles, sous la morne chaux qui couvre ce quartier de son suaire ! Des oiseaux des îles, ceux-là, plutôt que des moineaux. Pourpre, safran, orange des voiles de mousselines envolés au vent de leur course. Les mains des fillettes sont rouges de henné; l’argent des bracelets tinte à leurs poignets.
Des enfants comme ceux de partout. Ils sont nés là, dans le vieux nid de leur espèce, au-dessus du Tanger moderne qui grandit. L’Islam ne les a pas encore pris dans sa forme rigide où se sont moulées toutes les générations antérieures. Dans les blêmes couloirs de la Kasba, ces rieuses gamines iront un jour comme leurs mères, empaquetées en de lourdes laines, la bouche bandée comme des mortes. Ces galopins seront pliés aux disciplines de la mosquée ; dans leurs cervelles, vont bientôt s’imprimer les sempiternelles formules coraniques.
Passe un personnage qui semble un musulman achevé. Il est vaste, encapuchonné d’un magnifique burnous vert ...


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 07-vis10

- Au Mellah.



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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 12-vis10

- Bit-el-Mal.


... olive. Il porte lunettes; sa barbe noire est coupée suivant la règle; ses talons sortent, roses, de ses babouches neuves. Enfermé en lui-même, il chemine à pas comptés, la mine solennelle et presque funèbre. C’est un homme d’importance, sans doute un fkih, un docteur, peut-être un iman.

Tout en haut, près de la mosquée de la Kasba, sont les vieilles architectures maghzen. Au coin d’une petite place bien connue de tous les peintres du Maroc — Delacroix, Regnault en ont laissé des croquis — voici le joli Bit-el-Mal, où l’on gardait le trésor chérifien. Il ne contient plus que l’ombre qui s’enferme dans les cintres outrepassés de sa façade. Il est petit, tout blanc. Avec la bordure dentelée de sa terrasse, ses trois arches en haut de son perron en échelle, ses colonnettes byzantines, il a plutôt l’air d’une koubba, d’une chapelle de saint musulman.
A l’intérieur, rien à voir, semble-t-il d’abord. Mais les yeux s’habituant à l’obscurité, peu à peu se révèle un admirable plafond creux, dont les couleurs achèvent de s’éteindre. C’est le dedans d’une précieuse cassette orientale. Le pur décor arabe : un semis d’étoiles géométriques, dont les rayons de pourpre fanée s’entrecroisent en indéchiffrables figures ...

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 08-vis10

- Bit-el-Mal.





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... sur un fond jauni comme celui des laques persans. La riche musique au-dessus de ce lieu de finance !
Le coffre-fort est encore là, une énorme caisse à douros, bardée de lames de fer, et dont la charpente épaisse a pris depuis longtemps ce ton gris, cet aspect feuilleté qui vient au cèdre avec le grand âge. A Bénarès, j ’ai vu presque la pareille, aussi primitive, lentement traînée par des zébus vers une banque indigène.
Vue d’ici, entre les fines colonnes à contre-jour, la place est charmante. Elle semble abandonnée. Il ne reste que les choses, et le tableau est tout composé : des murs de chaux; dans un angle ensoleillé, un clair figuier dont le vert tout neuf s’illumine; un peu du bleu lourd de la mer entre deux terrasses; à droite, le trait d’or de la plage, et la montagne qui commence à se colorer aux rayons du soir.
Au Dar-Maghzen, dont les mornes murailles sont à deux pas, je n’étais jamais entré. On ne le visitait pas, au temps où le pacha y résidait. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un musée. Il nous faut secouer le gardien qui vend les tickets d’entrée pour l’arracher à son assoupissement. Ouvrir son tiroir, trouver son carnet à souches, en détacher un billet, c’est une opération qui ne semble pas facile à ce vieux musulman coiffé du tarbouche pointu des fonctionnaires chérifiens.
Un scribe, accroupi à terre devant son bureau de poupée, semble faire des comptes.
Dans un coin du vestibule, de vieux panneaux sont entassés sous une inscription qui nous arrête. Vantaux de portes rapportés par les Maures d’Andalousie; souvenir de leurs maisons de Séville et de Grenade, dont certains bourgeois de Fez gardent encore, dit-on, les clefs. « O jardins de Grenade ! » chante une nostalgique « andaloucia ».
Ce Dar Maghzen dut être un palais des Mille et Une Nuits. Dès la salle d’entrée, les prestiges arabes nous entourent. Encore ces vaisseaux de voûtes polygonales où l’ombre flottante se mêle d’or fumé et de couleurs mortes, où l’œil se perd parmi les infinies ciselures de plâtre, les grappes de stalactites, les confusions de guillochures en nids d’abeilles, et plus haut, dans la carène, renonce à suivre cet inextricable réseau de lignes qui ne sortent des grands soleils stylisés que pour en composer interminablement d’autres. L’art de l’Alhambra en face de la côte d’Espagne. On peut imaginer les jours que passaient là les anciens maîtres, quand la richesse des tapis de Rabat, des étoffes brodées s’ajoutait à ces enchantements. Au milieu de leurs femmes, jambes croisées sur de bas divans et sirotant le café ou le thé à la menthe, ils étaient là hors du réel. Retirés dans ce monde abstrait, ils pouvaient vivre en oubliant la vie; la confuse magie du décor se développait autour d’eux comme une riche vapeur de narcose.
Tout cela est bien mort, sans relation avec le présent. Ces longues chambres faites pour le rêve et la volupté ne servent plus qu’à des expositions et des travaux d’art indigène. On entend à côté, le claquement des métiers à tisser. Pourtant, dans le grand patio, sous la turquoise des auvents, persiste un peu de la vie féminine d’autrefois. Ce ne sont que des petites filles, mais qui semblent appartenir au lieu, comme ces enfants d’esclaves qui peuplent encore, à Fez, les maisons des riches et font partie de la famille. Douceur, langueur des enfantins visages; dans ces teints de cire blanche, les yeux semblent s’agrandir. Mais comme elles rient ! Elles ne font rien, les paresseuses, que rire et composer sur les carreaux de faïence des groupes de vive diaprure. Elles sont pieds nus, comme les petites meskinns de leur race, mais vêtues de voiles de péris.


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- Dar-Maghzen.


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- Dar-Maghzen.



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Quelques-unes, farouches, se sauvent, à notre approche, derrière les colonnes du péristyle, se cachent à demi. Je vois les prunelles noires qui nous guettent...

A deux pas de là, nous finissons cette journée parmi les vraies fleurs, dans le beau jardin qui couronne la Kasba, au-dessus de la mer. Sur trois côtés, au bord de la falaise, il s’enferme dans les graves remparts du palais, son printemps plus merveilleux dans cette vétuste enceinte. Des roses, des lis, des iris, des lilas du Japon, les étoiles rouges des bougainvillées. Splendides surtout les pavots, les anémones, — leur frêle tissu traversé d’un dernier rayon, puissant encore, qui les change en flammes de couleur.
Un lieu de clarté, de paix close, assurée, de bonheur. De lents murmures de colombes, des parfums, les délices d’un jardin musulman... Comment ne pas s’attarder ici ?
Quelqu’un se met à chanter; le chanteur est invisible ; cela doit monter de quelque terrasse voisine. C’est l’heure où, en pays musulman, dans les vergers, dans les palmeraies, à l’orée des villes, devant la libre campagne, toujours quelque voix, quelque musique de flûte se lève, se prolonge, et puis se met à palpiter. Mais le chant, ce soir, est différent. Longues notes égales, vibrantes, dont le mode antique rappelle celui de nos vêpres. Une grave, une religieuse psalmodie.
Le paysage que nous avons sous les yeux peut l’inspirer. Par delà les manteaux de roses et de géraniums grimpants qui chargent le muret du jardin jusqu’à déborder sur le précipice, il n’y a que l’espace, plus beau que toute chose particulière, les vides céruléens de la mer et du ciel, entre l’Afrique et la dernière terre d’Europe. L’astre a déjà touché la ligne de l’horizon, et, sur son disque pur qui s’échancre, montent lentement les champs de l’Atlantique.
Je me penche sur le petit mur; sous les guirlandes qui le couvrent, la falaise tombe à pic. En bas, rien que les choses sauvages : battement des vagues parmi des goémons, des galets, de noires avancées de roches que le jusant découvre. On croit respirer d’ici la senteur familière de la marée basse. Une grève comme celles de Bretagne, d’Angleterre, d’Amérique. Cela n’est d’aucun lieu particulier du monde ; on resterait là longtemps à rêver et se souvenir...


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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyMar 14 Fév - 8:58

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CASABLANCA

C’est le Maroc musulman, un monde étrange et très ancien, qui attire ici tant de voyageurs d’Europe et d’Amérique, heureux de s’évader pour un temps de la civilisation utilitaire et mécanique. Mais quand on a connu les immobilités et les corruptions de ce vieux pays, comment ne pas s’intéresser aux soudains développements produits dans son corps moribond par ce qui s’y est comme injecté de substance française ? L’œuvre accomplie au Maroc par nos hommes tient du miracle. Casablanca nous en présente le premier et le plus évident exemple. Impossible de voir ce qu’elle est aujourd’hui, et de taire sa surprise.
J’y étais déjà venu deux fois, en 1913 et en 1917. A ma première visite, elle n’avait déjà plus rien de commun avec l’humble bourgade indigène où, moins de six ans auparavant, le tricolore avait commencé de flotter. L’activité des proliférations embryonnaires, mais point de forme encore. Des organes à peine en voie d’ébauche. Le port n’avait pour abri que des rochers. A notre arrivée, par grosse mer, il avait fallu rester deux jours en rade, le navire dansant sur les grands rouleaux, avant que les barcasses pussent venir nous prendre. A terre, des aspects de fête et de désordre. Entre les bureaux de change, les bars, les restaurants, les cafés, plus nombreux que les magasins, parmi les volées de petits décrotteurs, se pressait une population singulière et presque toute masculine — une foule de l’espèce que l’on voit en semaine autour de nos champs de course. Le type book-maker abondait. Le matin même, la nouvelle officielle de la mise en adjudication des travaux de la digue venait d’arriver, ce qui signifiait que Casablanca, et non pas Feddalah ou Mazagan, jusque là concurrentes, serait le grand port du Maroc. La ville naissante était en fièvre. Enorme et subite plus-value des terrains. Chaque café était une Bourse. Partout la rumeur de l’agiotage et les relents de l’absinthe.
Plus haut, derrière la porte de l’Horloge, la Place de France avait encore des aspects de sokko. Des chameaux y passaient, mêlés à de vieux fiacres débraillés. Près de la tour, des cercles de burnous, à terre, entouraient des chanteurs. En face du quartier indigène, les constructions neuves alternaient avec les échafaudages; les débits de vin ...

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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 17-vis10

- Casablanca. Entrée de la nouvelle ville indigène.


... avec les baraquements des chantiers. Plus loin, commençaient les fils barbelés et les terrains vagues. Derrière un de ces enclos, un grand café glacier, que séparait du bled un commencement de route dénommé boulevard, marquait la dernière limite atteinte par le flot européen. Pour les pasteurs venus du bled, c’était le premier signe de notre civilisation. La veille des marchés, on les voyait là, le soir, tapis sur le doum, muets, les yeux fixes, aux feux de l’acétylène, s’ébahir de la glapissante voix et des chairs débordantes d’une divette marseillaise.
Nous avions dû courir longtemps pour trouver un logis. Les hôtels étaient misérables, encombrés par l’affluence des immigrants et des chercheurs d’affaires. Impossible d’obtenir une chambre; on ne louait que des lits. Aller à Marrakech était une entreprise; les voitures particulières ne s’y risquaient pas. Il me fallut attendre trois jours le départ d’une audacieuse petite Ford, chargée déjà de cinq voyageurs. Il n’y avait que la vieille piste des caravanes, et l’on ne garantissait pas l’arrivée. Trop d’autos s’étaient enlisées dans les boues de la Chaouia. Difficulté imprévue : l’entrepreneur de transports n’acceptait pas les valises. Je dus lui laisser la mienne; les chameliers s’en chargeraient. Elle mit cinq jours à faire la route au pas léthargique des grandes bêtes.
Aujourd’hui, je trouve une ville qui, en France, compterait parmi les grandes (160.000 âmes), et mieux construite, mieux disposée, toute entière, pour les besoins de la vie moderne : un port défendu par une digue longue déjà de deux kilomètres, munie de bassins, de docks, de quais d’où naissent toujours, sous des lignes de grues géantes, de nouveaux épis. Derrière la Place de France, de larges rues où brillent, sous l’universelle blancheur des façades, les glaces de riches magasins ; une succession d’avenues rayonnantes ou concentriques, des bordures de platanes et de palmiers, de beaux édifices publics : l’Hôtel des Postes, aussi vaste que celui de Marseille, et mieux ordonné ; le Grand Théâtre, où l’on joue l’opéra; le noble Palais de Justice; l’architecture néo-mauresque de la Banque d’Etat; deux grands lycées, de claires maisons d’écoles, dont les arcades intérieures se découpent sur des verdures; le magnifique parc Lyautey. Partout les spacieuses et justes ordonnances, la sûre adaptation des choses à leurs fins, la netteté qui satisfait les yeux et l’esprit. Je me souviens du plaisir que j’éprouvai à travailler un soir dans une chambre du bâtiment de la « Région » où l’on avait bien voulu m’accueillir. Rien qui rappelât la paperasse administrative. Un ameublement presque américain, le plus moderne et le plus net. Les hauts murs étaient presque nus, mais le beau décor qui s’encadrait dans les fenêtres ! — des fleurs, des feuillages suspendus sur la rougissante vapeur du merveilleux crépuscule africain.
Tout, ici, parle de jeunesse active : la plupart des colons et fonctionnaires ont moins de quarante ans. Sur un terrain que n’encombrent pas les survivances du passé, les énergies se déploient, excitées par l’idée des possibilités ouvertes, et l’heureux orgueil de la création. Confiance en soi ...



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- Casablanca. Entrée de la nouvelle ville indigène.



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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyMar 14 Fév - 9:14

page 25

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 01-vis12

... de chacun; confiance de tous dans les destinées du nouveau Maroc. Il y a vingt ans, quand tout était nouveau, c’était de l’enthousiasme. De leur ville naissante, de son avenir, les gens nous parlaient sur le ton un peu insolent dont les Yankees de Dickens vantaient leur Amérique (cream of the Earth... God’s our country). Dans quelques années, Casablanca compterait six cents mille habitants ; son port dépasserait celui de Marseille.
La foi, aujourd’hui, est moins visionnaire, mais elle subsiste, et l’on ne peut passer ici sans être sensible à cet optimisme rayonnant, et presque y participer. Des forces de vie, libérées des barrières qui, d’avance, les bornaient dans les vieux enclos d’Europe, vous enveloppent d’un tonique effluve. « Il n’y a pas de limite au développement de ce pays », nous disait un fonctionnaire, — et c’était un Arabe francisé d’Algérie. « Tous les jours, de nouvelles richesses se découvrent : du charbon dans le sud, du manganèse, des phosphates ; nous pouvons alimenter la France de primeurs. Vous verrez les moissons : on pourrait les tripler, et la terre est encore à peine travaillée ».
Il faut réfléchir, pour résister à cet enthousiasme, penser à la crise qui sévit depuis trois ans sur le reste du monde, se rappeler qu’elle est due surtout à l’excès de la production sur les besoins des peuples, — et que, d’autre part, le Maroc est maintenant « équipé », que le grand oeuvre se termine, auquel ont travaillé tant d’ingénieurs et techniciens de toutes sortes, dont l’activité, depuis 1910, fut la principale de notre nouveau domaine, et que le pays enfin, muni de tous ses organes, va vivre de lui-même, comme les autres du monde moderne, dont la vie devient de moins en moins facile.
Un avantage semble devoir lui rester : l’abondance et le bon marché de la main- d’œuvre indigène. Ce contrôleur civil qui nous disait avoir construit en une année, dans ...


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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyMar 14 Fév - 9:15

page 26

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 02-vis11

- Au jardin des Ouddaias.


... sa région, trois cents kilomètres de routes touristiques, qu’aurait-il pu faire en France d’approchant, avec les ressources dont il dispose ?
Mais l’énergie française commande et meut tout, et ce qu’on aperçoit d’abord, c’est la grandeur du travail accompli. A tout visiteur qui sait voir, elle impose l’admiration. Ce sentiment, le porte-parole d’une délégation américaine l’exprimait, l’autre jour, à sa façon dans un banquet public, à Casablanca : « Vous avez travaillé, disait-il à ses hôtes, comme des Super-Américains ! » Venu de cette bouche, quel compliment ! Mais si l’on supprime le superlatif, il reste un mot juste. Nous le notions en 1913 : les débuts de Casablanca rappelaient ceux d’une Sioux-City ou d’une Oklahoma. Et dans sa trépidante population, je retrouvais l’esprit des pionniers du nouveau monde : intense vitalité, audace et rapidité d’action, goût du risque et de l’entreprise, demi-dédain des vieux pays ralentis d’Europe, assurance de succès poussée jusqu’à la jactance — vingt traits qui ont longtemps passé pour proprement américains, et qui sont ceux de tout peuple nouveau qui s’installe sur sa terre, et veut grandir.


VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 14-vis10

- Au jardin des Ouddaias.


.


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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyMar 14 Fév - 9:16

page 27

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 03-vis11

RABAT
I

QUELLE banlieue il faut traverser pour sortir de Casablanca ! Ce faubourg du nord n’en finit plus. Des usines, des chantiers, des ateliers de mécanique, des garages, des monticules de charbon et de ciment, des piles de bois de construction, des rails, des fils de fer, des câbles électriques, d’agressifs panneaux de réclame, il y en a pendant quatre kilomètres. Ce n’est pas beau, mais un tel tentacule est le signe d’une grande cité moderne, et celui-ci dit assez la puissance de la ville qui l’a poussé. Voilà le monde qui se superpose au Maroc immémorial. Pour avoir trop aimé les nouveautés européennes, Abd-el-Aziz s’était aliéné son peuple.
Ses vizirs voyaient clair lorsqu’ils s’opposaient à la concession du chemin de fer qui relie aujourd’hui Tanger à Fez. Ce n’est pas — ils le disaient — le chemin de fer en lui-même qu’ils redoutaient, mais tous les changements qui suivraient. Leur Maroc ne pouvait subsister que solitaire.
Enfin cette prolifération industrielle s’éclaircit; l’espace s’ouvre, et la campagne déploie au loin ses longues ondulations. La campagne, et non plus le bled. Ce pourrait être celle de Picardie. A perte de vue, des cultures — avoines, blés, orges, fourrages, — et non par champs séparés, mais par étendues que rien ne divise. A part les fleurs qui ...


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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyMar 21 Fév - 8:28

page 28

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 04-vis11

- Rabat sur l’estuaire du Bou-Regreg.


... couvrent les larges bords de la chaussée — une prodigieuse foison de hautes fleurs sauvages — rien ne reste par ici de ce qu’on appelait jadis le tapis marocain.
Nous suivons de loin la ligne de la côte. Par delà les nappes végétales, si claires et brillantes dans l’afflux de la lumière, un ruban indigo s’allonge comme un riche trait de gouache. Bientôt Feddalah, qu’on passe à cinq lieues de distance, le couvre de son promontoire. Là-bas est la plage favorite des Casablancais, où les indigènes ne s’ébahissent plus des libertés de nos bains de mer.
Entre deux rangées d’arbres, la route coupe droit dans la plaine sans arbres. Une large route, de noirceur luisante, où naissent à tous moments les tremblantes flaques du mirage. Sur le tableau de la voiture, l’aiguille ne quitte pas le chiffre 70, vitesse qu’un automobiliste du pays jugerait plutôt faible. Ces larges voies si bien goudronnées ne servent qu’aux voyages, aux longs trajets d’une ville à l’autre. On y court sans arrêt, toujours de la même allure, dont la régularité finit, si l’on n’est pas au volant, par endormir. Même effet de la monotonie du paysage. Hors les régions montagneuses, c’est l’ennui de toutes les campagnes marocaines : rien que l’étendue vide, verte au printemps, et qui, l’été, tourne vite au ton du désert. Tout l’intérêt de ce pays, pour l’artiste, est dans les vieilles ruches sarrasines. Rien en somme à noter de cette route. Je me rappelle un brusque tournant, le passage d’un oued sur le plus moderne des ponts métalliques, et puis, au fond du ravin, un bois long d’une demi-lieue, presque une forêt, couvert d’une floraison d’or. Des mimosas ? Nous avons fait halte pour nous assurer de cette merveille. Envahissant parfum de ces mielleux et splendides fourrés.
Beaucoup de brillants autocars sur la route : il en part un, toutes les heures, de Rabat pour Casablanca. D’autres, éraillés et qui ferraillent, sont chargés jusque sur le toit d’Arabes, et de loin, semblent brimbaler une cargaison de vieux linge. La voie ferrée est à côté, mais nous n’avons pas vu un train. Dans le pays neuf qu’est devenu le vieux Maroc, tout va vite, et le chemin de fer est déjà désuet.
Enfin Rabat apparaît : un semis blanc, au loin, sur une hauteur. Peu à peu, la route s’anime, se couvre de piétons et de bicyclistes indigènes. Des burnous à bicyclette ! Surprenant spectacle, un peu comique, et qui en dit long sur les changements du pays.


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- Rabat sur l’estuaire du Bou-Regreg.



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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyMar 21 Fév - 8:29

page 29

VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 05-vis11

- Jardin des Ouddaias.


A l’approche du rempart, c’est toute une foule. Foule ouvrière, sortant des fabriques et chantiers de la ville. Elle se presse sous la voûte grandiose, faite pour les cortèges de cavaliers et les solennelles processions de dromadaires. Il est six heures un quart, l’heure où, dans le nouveau Maroc, comme partout aujourd’hui en Europe, les villes se vident d’un peuple de travailleurs. La mécanique de la vie moderne a pris ces Musulmans.

*
* *

Nous traversons la ville sans nous arrêter, laissant là les lignes d’hôtels, garages et cafés, et prenant par le haut pour aller tout de suite revoir la tour Hassan. A l’écart, à l’heure crépusculaire où l’âme des choses se dégage, elle nous parlera d’autre chose que du présent.
Il est très beau d’ailleurs, et très calme, ce hautain quartier de la Résidence où nous passons trop vite. Une vraie cité-jardin, mais conçue pour le climat d’Afrique : des villas de pure blancheur, longues, d’un seul étage, de style arabe, et qui s’espacent sous des ramures de pins et de cèdres, admirables sur la pâleur dorée du ciel. Des buissons de fleurs les entourent, des pergolas où pendent les guirlandes bleues et roses du printemps. On a suivi le plan qu’avait indiqué le maréchal Lyautey pour la ville administrative : « Des pavillons noyés dans la verdure ».
Très vite, le terrain se vide, et voici que se lève le grave monument almohade, qui veut autour de lui la solitude.


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- Jardin des Ouddaias



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MessageSujet: Re: VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON.   VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. EmptyMar 21 Fév - 8:31

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VISIONS DU MAROC, André CHEVRILLON. 06-vis11

- Le marché aux laines devant la muraille des Ouddaias.


La poussée moderne est trop forte; ses abords n'ont pas été tout à fait respectés : deux ou trois récentes bâtisses approchent indiscrètement du pied de sa butte. Mais quand on monte sur ce plateau bosselé de tumulus, elles disparaissent. Au milieu des cactus, la puissante tour règne seule dans l’espace.
C’est la sœur de la Giralda de Séville, de la Koutoubia de Marrakech ; — le même architecte, dit-on, les a construites, au temps de nos premiers Capétiens, quand l’empire maghrébin s’étendait du Sahara à la Castille, et de l’Atlantique à la Tripolitaine. Mais plus pathétique, celle-ci, parce que découronnée, enveloppée de ruines que les siècles ont presque ensevelies sous la terre, — les ruines d’une mosquée qui fut grande. Elle est carrée; ses arêtes verticales tranchent l’espace de lignes aussi précises qu’au premier jour; sa couleur est une pourpre obscure que le soir assombrit encore ; en ce moment c’est presque du noir, mais pénétré de je ne sais quelle mystérieuse ardeur. Ses proportions ne sont pas celles que prescrivent les vieux canons de l’architecture andalouse : elle est tronquée, trop large pour sa hauteur (elle monte pourtant à quarante-cinq mètres), mais vêtue de majestueuse richesse. Au premier registre, une grande ogive aveugle, enrichie d’un rayonnant décor, s’enfonce sur chacune de ses faces comme le sceau superbe de l’Islam. Au-dessus, tombant de la crête, une nappe massive d’entrelacs, une sorte de châle aux mailles pleines d’ombre, suspend trois franges qui dessinent d’autres ogives. Calmes et larges harmonies, comme les accords d’une musique religieuse. Quelle distance entre un tel art et les délicieux raffinements des Saadiens de Marrakech ! Grandeur toujours du décor archaïque ; sérieuse, simple énergie des âmes, aux premiers temps de chaque civilisation qu’une religion soulève. Avec ses proportions insolites, la sombre tour ...



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- Le marché aux laines devant la muraille des Ouddaias.



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- LA TOUR HASSAN.


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